Une averse by Yu-Jong Kim

Auteur:Yu-Jong Kim [Kim, Yu-Jong]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 284304314X
Éditeur: Zulma
Publié: 2005-06-01T22:00:00+00:00

Ma femme

Personne ne vous dira que ma femme, elle est jolie. Ou alors faut être complètement tordu. Moi, qui dois la supporter tous les jours, je vous le dis, elle est vraiment pas jolie, et pourtant je fais de mon mieux pour la voir sous le meilleur jour. Mais une femme, c’est pas qu’un minois, hein ? Faut aussi qu’elle vous fasse des mômes, solides comme des bœufs, crénom de nom ! Les pauvres types comme nous, quand on est vieux, si on a pas de gamins, on a plus qu’à mourir de faim. Comme on a pas le moindre petit bout de rizière à soi, on peut plus rien foutre. Et qui c’est qui nous donnera de quoi bouffer ? Alors, moi je pense, tant qu’on est encore jeune, des gamins, il faut en faire autant qu’on peut.

Et puis, c’est pas parce que la mère est mal foutue que les mômes le seront aussi. Y a qu’à voir mon fils, Toltol. Sa mère, elle a tout l’air d’un gâteau de riz ratatiné. Mais lui, il est beau, il a l’air intelligent… Seulement, il pense qu’à bouffer, il a faim tout le temps. N’empêche que pour moi, il est irremplaçable, c’est ce que j’ai de plus précieux au monde, il m’est plus précieux même que mon père et mon grand-père. Cette garce, c’est depuis qu’elle m’a fait cet enfant qu’elle se pousse du col. Avant, avec sa tête de boudin, où est-ce qu’elle aurait osé aller faire la fière ? On dit bien qu’il en faut pour tous les goûts. Mais ma femme, même les plus tordus, ils lui auraient pas prêté une seconde d’attention.

On dit que ceux qui ont le front bien dégagé et les sourcils bien séparés, ils ont au moins l’esprit ouvert. Si chez elle, il n’y avait que ça, ça irait encore. Mais elle a aussi la mâchoire carrée et pesante, les lèvres proéminentes, les traits grossiers : la vulgarité, quoi ! Et puis, sa lèvre du haut, elle est épaisse et perpétuellement retroussée. Chaque fois qu’elle ouvre la bouche pour dire quelque chose, elle montre ses dents du haut, tout en désordre d’ailleurs. Elle pourrait avoir au moins un nez à peu près présentable : un joli nez, c’est ce qu’on voit tout d’abord, au milieu de la figure… Mais chez elle (alors là, je vais avoir l’air de dire du mal de ma femme… et pourtant je dis ça pour essayer de l’arranger un peu), le nez fait penser au groin d’un cochon en train de regarder au loin.

C’est au point qu’elle m’épie la nuit ; inquiète, elle se demande si je ne vais pas l’insulter et la maltraiter. Mais j’ai pitié d’elle et, malgré la fatigue de la journée, je condescends à lui parler. Je lui demande comment elle a passé la journée, si elle a bien réparé le portillon, comme je lui ai dit de faire. Je lui dis aussi que son nez, sans savoir pourquoi, il a l’air bien mieux cette nuit, et d’autres choses comme ça.

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